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Analyse des cahiers des charges sur la télésurveillance des maladies chroniques

Les nouveaux cahiers des charges pour les expérimentations de télémédecine ont été publiés au Journal Officiel du 15 Décembre 2016 dont nous donnons ici notre analyse.

Le nouvel arrêté du 6 Décembre 2016 étend le financement des expérimentations de télémédecine dans le cadre de la LFSS 2014 à la télésurveillance de l’insuffisance cardiaque chronique, de l’insuffisance rénale chronique, et de l’insuffisance respiratoire chronique. Nous avons décrit les modalités de ces nouveaux cahiers de charge dans un article de synthèse publié ce jour

Ces nouveaux cahiers des charge rentrent parfaitement dans le cadre de la stratégie nationale de déploiement de la télémédecine initiée en 2011 en répondant à une des priorités non traitée jusqu’à présent. Les modalités précises de suivi et d’évaluation nouvellement définies laissent espérer un meilleur suivi régional et national de la part du Ministère et des ARS par rapport aux autres priorités dont aucune données de résultats ou d’impact ne sont à ce jour disponibles (Article du 19/12/2016).  

Ces cahiers des charges permettent de répondre aussi à l’engagement 9 du Pacte Territoire Santé 2 (Article du 04/12/2015) sur la télémédecine annoncé en Décembre 2015, mais dont les expérimentations étaient annoncées pour “début 2016”. Le ministère a ainsi pris apparemment un an de retard sur son calendrier. Avec la mise en place de ce programme, la Ministère peut néanmoins afficher une mise en oeuvre sur deux orientations différentes de son action.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, dont nous ferons une analyse détaillée prochainement, étend les expérimentations à l’ensemble de la France, et prolonge sa durée d’un an. Ces cahiers des charges s’appliqueront ainsi à priori jusqu’au 31 Décembre 2019, avec un rapport  transmis au Parlement par le ministre chargé de la santé avant le 30 septembre 2017.

Concernant les pathologies choisies, l’insuffisance cardiaque et l’insuffisance rénale figuraient parmi les pathologies les plus concernées par les projets de télémédecine selon le recensement de la DGOS effectué au 31 Décembre 2012. La télésurveillance représentait alors 22% de l’ensemble des projets dont ces deux pathologies étaient les plus concernées. La télésurveillance du diabète était la troisième pathologie recensée, et on peut regretter son absence dans ce nouvel arrêté, d’autant plus qu’elle figurait dans le Pacte Territoire Santé 2. Dans une étude publiée dans la Recherche Européenne en Télémédecine, il était retrouvé cependant que les projets de télésurveillance étaient ceux qui bénéficiaient le plus de projets de recherche en France. La mise en place de ces cahiers des charges représente tout de même une avancée certaine pour le déploiement de la télémédecine au bénéfice des patients et accessible sur l’ensemble du territoire. 

Du point de vue des critères de sélection des patients inclus, l’arrêté précise que les décisions ont été prises en accord avec les sociétés savantes concernées dans le cadre de groupe de travail nationaux. Il est regrettable que les éléments ayant permis de prendre ces décisions ne soient pas rendus publiques comme c’est le cas pour les argumentaires de la HAS publiés en même temps que les recommandations. Cette remarque s’applique aussi aux tarifs fixés, dont on ne sait pas sur quoi reposent les choix des montants établis. 

De même, il n’est pas présenté d’étude d’impact budgétaire de cet arrêté à minima pour l’Assurance Maladie et donc il n’est pas possible de savoir aujourd’hui officiellement quel est le montant total consenti par les autorités pour la mise en oeuvre de ces expérimentations. Le Pacte Territoire Santé 2 annonçait 40 millions d’euros. Mais au vu des données présentées lors du Congrès de la SFT par la DGOS, ces 40 millions d’euros pourraient vraisemblablement correspondre à l’enveloppe FIR annuelle dédiée à la télémédecine depuis 2014 et non dépensée entièrement (Article du 19/12/2016).

Sur le plan médical, seuls les médecins réalisant le suivi pourront être financés, donc à savoir principalement les médecins spécialistes. Les médecins traitant devront néanmoins avoir accès aux données de télésurveillance. La prise en charge se fera ainsi par les spécialistes, et le médecin traitant sera ainsi quelque peu “à distance” dans la prise de décision au quotidien. Pour réaliser les inclusions, notamment dans le cadre de l’insuffisance cardiaque, il parait possible que la majorité se fasse par les cardiologues, du fait de l’absence d’incitation financière pour les médecins traitants à qui cela prendra du temps pour expliquer aux patients le principe et les modalités de prise en charge. Alors que l’on souhaite renforcer la place des soins de premier recours avec une gradation des soins, ce système aurait ainsi plutôt tendance à encourager l’inverse avec un suivi quotidien réalisé par des spécialistes, à priori hospitaliers. L’évaluation de l’expérimentation permettra de confirmer ou infirmer cette hypothèse. 

Les modalités de mise en oeuvre de l’activité nécessitent la déclaration des activités aux ARS par les professionnels de santé et à la DGOS pour les industriels, ainsi qu’aux caisses locales d’assurance maladie pour le remboursement. Ces documents ne sont pas disponibles à ce jour et de ce fait, il est probable que les activités mettent quelques mois à démarrer du fait de l’ensemble des procédures administratives à initier. La charge de travail supplémentaire pour les ARS fusionnées et réorganisées, et pour les CPAM risque ainsi de s’avérer importante pour traiter l’ensemble des dossiers dans les temps.

Les financements sont bien structurés et prennent en compte les médecins, l’accompagnement thérapeutique, ainsi que l’industriel fournisseur de la solution, donc un frein important est levé. Après avoir plaidé depuis de nombreux mois pour la mise en place d’une tarification forfaitaire et non pas à l’activité, nous saluons le choix raisonné de ce type de financement. Le choix du semestre semble plus administratif que médical néanmoins mais constitue une nouveauté.

L’intégration d’un financement à la performance en fonction de l’atteinte d’objectifs de prise en charge est très intéressant d’un point de vue de santé publique, et constitue le premier exemple de ce type en dehors du dispositif de Rémunération sur objectif de santé publique (ROSP). Le choix des seuils n’est cependant aucunement justifié. L’atteinte des objectifs la première année de la mise en oeuvre de la télémédecine versus sans télémédecine pourrait être cependant plus aisé que les années suivantes ou le bénéfice incrémental risque de se réduire. Par ailleurs, d’un point de vue purement méthodologique, il est impossible d’établir un lien de causalité entre la mise en place d’une intervention organisationnelle complexe de télémédecine et l’atteinte d’objectifs selon un schéma d’étude avant-après sans passer par une évaluation rigoureuse prenant en compte les potentiels facteurs de confusion qui pourraient être aussi liés aux résultats observés. Dans les rapports devant être transmis, il est précisé que les données sur une population témoin seront aussi transmises et analysées. Il n’apparaît pas cependant clairement si la méthodologie d’analyse sera selon un schéma avant-après et/ou ici-ailleurs. Nous encourageons ainsi l’Assurance Maladie, la DGOS, et la HAS a peut-être préciser la méthodologie de l’analyse en dehors de la méthodologie de recueil des données décrite de façon très détaillée dans le texte.

La prise en compte de la satisfaction des patients selon une échelle standardisée et validée est positif mais sa modalité de réalisation semble anachronique. En effet, l’HAS va envoyer des enveloppes T aux ARS, qui les enverront aux professionnels de santé, qui les donneront aux patients, qui devront les retourner par courrier directement à la HAS qui les traitera manuellement. La mise en place d’un questionnaire numérique en ligne nous parait plus simple et moins coûteuse. De façon plus globale, l’évaluation prendra en compte différents critères ce qui est aussi positif. Ce nouveau cahier des charges entend ainsi pallier au problème des précédents cahier des charges ou l’évaluation devait être réalisée en partie par les professionnels de santé mais était en pratique trop lourde.

Enfin, concernant la répartition des financements, nous nous questionnons sur la répartition décidée. Si l’on prend le cas de l’insuffisance cardiaque, la somme forfaitaire pour un patient est de 470 euros par semestre soit 940 euros annuel. Au total, 64% du montant va à l’industriel, 23% au médecin faisant le suivi, et 13% pour l’accompagnement thérapeutique. La prime à la performance à un pourcentage deux fois plus élevé pour les industriels que pour les médecins. Notre sommes ainsi surpris que pour une prise en charge médicale, ce soit l’industriel qui soit largement rémunéré sur le forfait de base, et d’autant plus sur la performance. A l’état actuel, il apparaît ainsi que le financement consenti pour la télémédecine ira à majorité chez les industriels, de façon similaire aux dizaines de millions déjà investis par les pouvoirs publics depuis 2011. La financement pour les professionnels de santé devrait quand même permettre d’initier une activité financée pour les professionnels de santé et les établissements médicaux.

En conclusion, la publication de cet arrêté portant sur le financement de la télésurveillance des maladies chroniques représente une grande avancée pour le déploiement de la télémédecine en France mais comporte certains éléments limitant dont il faudra être vigilant pendant l’expérimentation. Télémédecine 360 accompagnera la mise en oeuvre de ces nouvelles modalités de prise en charge par télémédecine en accord avec notre mission et notre engagement.

 

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