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L'interview Télémédecine 360 #1: Dr. Philippe Bonnet, médecin opthalmologiste

A partir de Septembre 2015, Télémédecine 360 initie une nouvelle rubrique intitulée «L’interview Télémédecine 360».

Cette interview vise à rencontrer les acteurs de terrain de la télémédecine en France afin de connaitre leurs activités, leurs attentes, et leurs perception de la télémédecine.

Pour ce premier numéro, Télémédecine 360 a rencontré Dr. Philippe Bonnet, médecin ophtalmologiste, exerçant en cabinet libéral à Vichy.

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– Quelles sont vos activités de télémédecine et leurs objectifs?

“J’ai fondé en 2012 l’association SOL ( Service d’Ophtalmologie en Ligne) qui a pour objet le développement d’actes de téléophtalmologie. L’Ophtalmologie moderne, utilisant largement l’imagerie, est une des spécialités la plus appropriée à l’usage de la télémédecine. Le remboursement par la CNAM d’un acte de dépistage de la rétinopathie diabétique avec lecture à distance (seul acte de télémédecine remboursé à ce jour hors expérimentation) a permis d’initier le déploiement d’un réseau national de télédiagnostic ophtalmologique en partenariat avec la CGTR (Compagnie Générale de Téléradiologie), première plateforme française de télémédecine. Nous installons des sites de dépistage dans des territoires sans ophtalmologiste ou difficilement accessible. Le réseau doit couvrir tout le territoire et atteindre l’objectif de 80% de diabétiques dépistés (Loi de Santé Publique 2004). Ce réseau permettra également le dépistage de la DMLA voire du glaucome”.

– Pouvez-vous nous décrire plus en détail cette activité ?

“C’est le généraliste qui prescrit le dépistage à ses patients diabétiques et les adresse à un(e) orthoptiste du réseau ( 3 sites déjà opérationnels dans le Puy-deDôme, la Saône et Loire et la Savoie). L’orthoptiste renseigne une fiche-patient (état civil, données concernant le diabète, numéro de Sécurité Sociale), réalise les clichés du fond d’oeil (2 par oeil) avec un rétinographe non mydriatique (pas de dilatation de la pupille) et transmet l’ensemble par liaison internet sécurisée à la plateforme CGTR. Un ophtalmologiste lecteur fait l’analyse des données à distance et retourne le résultat et la conduite à tenir au prescripteur et au patient (selon les recommandations HAS 2010)”.

– Quels freins avez-vous rencontré ou rencontrez-vous encore aujourd’hui concernant votre activité de télémédecine ?

“Après avoir rencontré de multiples acteurs du système de soin et des élus, j’ai compris que le frein essentiel était le non remboursement des actes de télémédecine par la CNAM. La décision d’inscrire ce premier acte dans la nomenclature des orthoptistes et des ophtalmologistes début 2014 représente une avancée majeure pour le déploiement d’actes de télémédecine en général et de téléophtalmologie en particulier. Malheureusement la CNAM n’a pas voulu prendre en compte la nécessité d’un réseau national structuré pour atteindre les objectifs ( 600 000 diabétiques hors circuit, 1 400 000 au total), et, en remboursant à minima les actes, elle ne permet pas aux professionnels ( orthoptistes et ophtalmologistes) de financer le matériel et l’accès à une plateforme de télémédecine. Certaines ARS décident alors d’intervenir et cela entraîne l’apparition anarchique d’initiatives locales ( régionalisation du système oblige) souvent très coûteuses (camion itinérant) et inefficaces ( environ 3 à 4 mille dépistages par an sur tout le territoire comparé à la population cible minimale de 600 000 patients)”.

– Selon vous, quelle serait la solution pour enlever ces freins ?

“Que les tutelles comprennent que, la télémédecine, utilisant internet, réseau sans frontière, doit s’envisager d’emblée à l’échelle du territoire national (voire international), avec la création de plateforme nationale (comme celle de CGTRSOL) mutualisant les ressources informatiques ( plateforme commune et hébergeur agréé commun). Que le calcul du montant des actes de télémédecine doit intégrer le fait que, si l’acte est divisé en deux parties, sa réalisation est très différente que lorsqu’il est fait en cabinet; remplissage de la fiche et intégration des données dans le logiciel de télémédecine sont chronophages pour l’orthoptiste, l’analyse de données sans patient en face de soi et le travail sur écran entraîne un changement majeur de pratique médicale pour l’ophtalmologiste. Tout ceci ajouté à une nécessaire promotion de cette nouvelle activité vaut bien plus que la primaire division par 2 d’une consultation de spécialiste à 28 euros ( l’orthoptiste reçoit 17, 42 euros et l’ophtalmologiste 11,30 euros)”.

– De façon globale, que pensez-vous du développement de la télémédecine en France aujourd’hui et dans les années à venir ?

“Je pense pouvoir résumer par une image : la télémédecine en France qui était un terrain vierge, devient un jardin de curé. Échelle inadaptée (régionale et non nationale), stratégie inadaptée (installation de très coûteuses plateformes d’e- santé régionales avant d’avoir défini précisément des usages), acteurs inadaptés (quasi absence des professionnels libéraux et de soins primaires qui sont ceux qui ont le plus besoin de la télémédecine surtout dans les territoires ruraux et en périphérie des grandes villes). Mais l’évolution de la télémédecine en général doit s’appréhender en tenant fortement compte de l’arrivée aussi massive que brutale des acteurs du numériques (GAFA Google-Apple-Facebook-Amazon). Leur volonté de captation et de détention des données de santé ajoutées aux progrès techniques et à leur stratégie de contournement des réglementations nationales (comme avec UBER) en font de futurs (proches?) acteurs de la télémédecine. Je pense que l’enjeu aujourd’hui est la nécessité de l’émergence d’acteurs français ou européens dans le champ de la télémédecine (à l’instar de la CGTR) controlés par des professionnels de santé (de préférence libéraux), ayant développés des filières de télémédecine dans les spécialités médicales qui s’y prêtent le mieux (radiologie, ophtalmologie, cardiologie,dermatologie..).Ces acteurs permettront aux gouvernants de ne pas se retrouver sans atout dans les très probables négociations qu’ils devront mener avec ces mastodontes”.

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