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Non, Madame Touraine, la télémédecine n'est pas accessible dans tous les territoires !

La Ministre de la Santé, et des Droits des Femmes s’est exprimée sur l’innovation en santé en France dans une tribune parue dans Les Echos.

Cette tribune parue jeudi 9 juillet est intitulée “L’innovation: un atout français pour notre santé”.

La tribune commence ainsi : “Ces dernières années ont été marquées par une accélération spectaculaire des progrès médicaux”. “Dans notre pays, les prouesses se succèdent et repoussent chaque jour les limites du soin et de l’accompagnement des patients”.

Madame la Ministre cite ensuite quelques exemples tels que l’utilisation de la thérapie génique chez des enfants atteints du syndrome de Wiskott-Aldrich, l’utilisation de cellules souches embryonnaires après un arrêt cardiaque, l’implantation de rétines ou du cœur artificiels, avant de finir son paragraphe à propos de la télémédecine.

Elle dit ainsi que “la télémédecine permet déjà, dans tous les territoires, d’accéder à l’expertise des centres spécialisés”.

Télémédecine 360 salue l’optimisme de la Ministre sur la question de la télémédecine, et reconnaît le travail considérable mené par les autorités et les ARS pour faire avancer la télémédecine en France,  ainsi que les ressources allouées, mais se doit de réagir quant à la réalité de ces propos.

En effet, d’un point de vue strictement médical tout d’abord cette phrase n’a pas vraiment de sens. De quels territoires parle-t-on ? De quel accès ? Pour qui ? Quelle expertise ? Quels centres spécialisés ?

Quant à affirmer que la télémédecine serait accessible “dans tous les territoires”, cette affirmation nous semble assez éloignée de la réalité du terrain, notamment dans les territoires ruraux isolés où la télémédecine n’est encore que peu développée malgré des initiatives intéressantes.

Par ailleurs, même si la déclaration de Madame Touraine était en phase avec la réalité du terrain, des patients, et des professionnels de santé, nous serions ravis d’avoir accès aux données permettant de faire cette déclaration.

Malheureusement, le seul décompte officiel récent accessible publiquement en ligne est un recensement effectué par la DGOS en 2013 selon une enquête concernant les activités de télémédecine connues des ARS au 31 décembre 2012. Certes, cette enquête montrait un déploiement dans toutes les régions, et une accroissement du nombre de projets opérationnels, autant il montrait que seulement 4% des projets étaient extra-hospitaliers. Or, on sait aujourd’hui que ces chiffres ne sont plus d’actualités, au moins dans certaines régions, où des chiffres plus récents sont disponibles en Pays de la Loire ou Rhône-Alpes par exemple. De plus, cette enquête étaient menée auprès des référents ARS, qui à l’époque et peut-être encore aujourd’hui n’ont pas une connaissance exhaustive de l’ensemble des projets de télémédecine de leur région. Ou bien si tel est le cas, Télémédecine 360 encourage fortement les ARS à rendre ces chiffres publics sur leur site internet respectifs. 

Or, une politique de santé doit avant tout se reposer sur une approche de la réalité des pratiques médicales dans le territoire concerné par des données actualisées et les plus juste possibles. L’absence de recensement officiel actualisé des projets de télémédecine en France depuis plus de deux ans démontre que le ministère n’est pas en capacité à ce jour d’établir une cartographie en temps réel des projets et donc d’adapter finement la politique de santé aux nouveaux enjeux de télémédecine qui pourraient émerger dans notre pays.

Télémédecine 360 plaide ainsi fortement pour la création d’une plateforme ouverte partagée, accessible à tous, mise à jour en temps réel ou presque, où chaque porteur de projet pourrait renseigner son projet en ligne facilement, en lien avec les ARS. Cette plateforme permettrait la réalisation rapide d’un recensement à l’échelle nationale et dans les territoires selon la granularité choisie, de manière collaborative, partagée, et décentralisée, en évitant le biais de l’enquête seulement auprès des ARS, et un temps important consacré à l’enquête par l’administration. Par ailleurs, cela permettrait une transparence accrue pour les citoyens, gage d’une démocratie sanitaire améliorée.

Concernant l’accès en lui-même à la télémédecine en France, bien qu’il se développe considérablement, il reste encore marginal au vu de l’immense besoin médical auquel la télémédecine pourrait répondre. Tout le monde sait de plus que le principal frein aujourd’hui au large déploiement de la télémédecine promu par le ministère reste le modèle de financement des activités de télémédecine. Alors que d’un côté, des nouveaux modes de rémunération sont expérimentées concernant des exercices médicaux collectifs, les deux rémunérations de télémédecine possibles en France, dont l’une dans le cadre d’une expérimentation, sont des rémunérations à l’acte. Or, la télémédecine, de par son impact sur l’organisation des soins, nécessiterait d’autres modes de rémunérations, exclusifs ou associés, telles que la rémunération au forfait, à la performance, ou selon ces nouveaux modes de rémunération. Télémédecine 360 invite ainsi la Ministre à considérer les freins financiers liés à l’accès de la télémédecine afin d’en renforcer et accélérer son déploiement.

Il aurait ainsi été plus juste, plus simple, et plus honnête, Madame la Ministre, de déclarer que les usages de la télémédecine progressaient en France mais que de nombreux freins restaient encore a être levés pour un déploiement généralisé permettant un accès équitable aux usagers. Si Madame la Ministre souhaiterait néanmoins éclaircir ses propos auprès de Télémédecine 360 ou bien apporter des éléments, données, rapports officiels ou publications scientifiques qui permettraient d’affirmer ses propos concernant la télémédecine, nous l’encouragerions dans cette démarche.

Télémédecine 360 ne manquera donc pas d’être vigilant sur la couverture médiatique et les déclarations officielles concernant la télémédecine qui pourraient avoir lieu au cours de la « Journée nationale de l’innovation en santé » et du « Tour de France de l’innovation » qui permettront nous l’espérons à Madame la Ministre d’avoir une meilleure vision de la réalité de la télémédecine en France. 

Enfin, sur une note plus générale, Télémédecine 360 regrette que dans l’ensemble de cette tribune, l’innovation en santé soit uniquement associée à des progrès médicaux thérapeutiques ou curatifs sans mentionner une seule fois les innovations en prévention et promotion de la santé alors qu’il s’agit du premier axe de la Stratégie Nationale de Santé.

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